Les meurtres du monstre de Florence

Nous commençons aujourd’hui avec une série d’épisodes sur ce cas, encore non conclu: la série de d’assassinats de couples isolés en voiture le soir dans les collines florentines, du premier commis en 1968 au dernier en 1985, qui a vu la fin de la série avec l’assassinat de deux touristes français.

Une première partie présente un récapitulatif de la séquence judiciaire qui permettra de recontextualiser la situation de l’époque pendant des dizaines d’années, jusqu’aux dernières vicissitudes qui a subi un livre, très important sur l’affaire, qui a été publié l’an dernier, qui retrace l’histoire et met en évidence de nombreux aspects non élucidés sous une autre lumière d’analyse.

Une deuxième partie (publiée prochainement) avec l’interview de l’auteur du livre et les derniers aspects judiciaires de cette enquête de fin février 2021.

Première partie

Classé le volet de l’enquête sur le dernier double meurtre du soi-disant monstre de Florence. La dernière « piste » de l’avocat Vieri Adriani, juriste des familles des victimes françaises Nadine Mauriot et Jean Michel Kraveichvili tués à Scopeti le 7 septembre 1985, a donc également échoué.

Le meurtre de deux français c’était le dernier des huit doubles homicides attribués au maniaque de Florence depuis le premier en 1968.

Le juge de Florence Angela Fantechi a ordonné l’archivage de l’enquête sur les derniers suspects en ordre de temps pour les meurtres attribués au soi-disant monstre de Florence, l’ex Legionario Giampiero Vigilanti, 90 ans et, pour Francesco Caccamo, 89 ans, médecin. La demande d’opposition au classement a été rejetée.

L’histoire entière de la chronique noire qui a bouleversé l’Italie est racontée par le documentariste Paolo Cochi dans un livre de 530 pages : « Mostro di Firenze – Al di la’ di ogni ragionevole dubbio » (Monstre de Florence – Au-delà du toute doute raisonnable).  Le volume, considéré comme le texte le plus complet sur l’affaire, qui raconte, à travers des documents d’enquête, des actes de procédure, des recherches et des témoignages, toute cette histoire juridique et d’enquête.

La contre – enquête journalistique de Cochi démonte pièce par pièce les enquêtes et les procès qui ont conduit à la condamnation des soi-disant « compagnons de collation » pour les quatre derniers doubles meurtres du monstre.

Ce livre a été récemment interdit au public par un juge de Venise. Une mesure sans précédent dans la jurisprudence italienne.

Le livre est maintenant de retour dans les librairies et les magasins en ligne grâce à l’intervention de la maison d’édition et de ses avocats.

Un texte inconfortable pour quelqu’un, mais qui est finalement revenu à la disposition des lecteurs.

Ci suite le récit non exhaustif des étapes et du contexte judiciaire de l’affaire.

Les aspects juridiques qui caractérisent l’affaire judiciaire sont très controversés. Le plus significatif est celui relatif au principe de culpabilité.

Le principe du « doute raisonnable » nécessaire à la décision de responsabilité pénale, comme limite à la liberté de conviction du Juge, a été introduit normativement dans le système judiciaire italien en 2006 (donc avant que ça soit close une grande partie de l’affaire judiciaire qui nous occupe)  avec la
Loi n. 46, qui a réformé l’Art. 533 du C.P.P. (Code de Procédure Pénale : « Le Juge prononce une sentence de condamnation si l’accusé s’avère coupable de l’infraction qui lui est reprochée au-delà de tout doute raisonnable »), mais que, en effet, il avait déjà été développé auparavant par la jurisprudence de légalité dès les années 80.

Il s’agit d’un principe qui constitue un frein au libre arbitre du Juge, qui s’inscrit dans le cadre des garanties fondamentales du procès équitable, ensemble avec la présomption d’innocence de l’accusé, la charge de la preuve à charge de l’accusation, à l’énoncé du principe in dubbio pro reo (“dans le doute on s’abstien, on donne raison pour l’instant à l’accusé, on l’absout“) et de l’obligation de motivation de la décision selon des critères rationnels.

Ces dernières années, en vertu de la (prévision législative) normative de 2006, la règle a pris de plus en plus de force : les jugements de légitimité se sont stratifiés pour remplir de contenu l’expression synthétique de l’au-delà du toute doute raisonnable.

La cour de Cassation, Sez. II, 10 décembre 2013, n. 1405, rétien que l’art. 533 implique, en cas de prospection alternative des faits, que soient identifiés les éléments de confirmation de l’hypothèse reconstructive retenue, de sorte qu’il résulte la non rationalité du doute dérivante de l’hypothèse alternative, en précisant que le doute raisonnable ne peut se fonder sur une hypothèse conjecturale, même si  plausible.

En d’autres termes, le doute sur la culpabilité de l’accusé, suscité par la possibilité de reconstitutions alternatives du fait, n’existe pas, seulement dans le cas où il est irrationnel sur la base des éléments acquis dans le procès.

La Cassation est désormais orientée dans le sens de considérer que la règle de jugement synthétisée dans la formule « au-delà de tout doute raisonnable », impose de prononcer la condamnation à condition que la donnée probante acquise et fondant la culpabilité exclue seulement des hypothèses qui, même s’il est abstrait d’être envisageable, il n’y a aucune correspondance dans le cas concret tel que reconstitué dans le processus (sur le point, « ex plurimis », v. Sez. I, 3 mars 2010, n. 17921, in C.E.D. Cass., n. 247449; Sez. I, 8 mai 2009, n. 23813, in Cassation Pénale, 2010, p. 1910; Sez. I, 21 mai 2008, n. 31456, ivi, 2009, p. 1840, avec note de Caprioli, « Scientific evidence » et logiques du probable dans le procès pour le « crime de Cogne »).

Avec fermeté, Cass. Pen. Sez. VI, 5 mars 2005, n. 21314, (in C.E.D. Convention Européenne de Droits de l’Homme Cass., n. 263565), précise que la règle de « jugement en cause », selon laquelle la condamnation doit se fonder sur la certitude procédurale de la responsabilité de l’accusé, postule que les éléments de preuve étayant la décision de culpabilité ont été acquis en l’absence de circonstances de nature à en affecter la fiabilité, le Juge procédant étant tenu d’activer ses propres pouvoirs pour dissiper les doutes nés précisément par rapport à des éléments susceptibles de réfuter l’hypothèse accusatrice.

À ce stade, et en particulier en se référant  au dernier arrêt  précité, on peut se demander quel sort aurait eu le jugement de condamnation de Mario Vanni et Giancarlo Lotti (les “compagnons de collation”  jugés coupables et définitivement au dernier stade de jugement pour les derniers 4 doubles homicides 1982, 1983, 1984, 1985) si, au moment de sa confirmation, cette adresse jurisprudentielle avait été si tellement développée et si la nouvelle formulation de l’article 533 C.P.P avait existé déjà ainsi que la nouvelle jurisprudence qui en a clarifié la portée.

Il est indubitable, en effet, que dans le procès des “compagnons de collation”, les déclarations de témoins accusateurs se heurtaient à des données granitiques déjà acquises, comme bien étayé dans le livre de Paolo Cochi, en plus de se présenter fragmentaires, incertaines, irrationnelles et incohérentes entre elles. Les circonstances étaient-elles de nature à affecter sa crédibilité? La réponse est plus que positive.

Comme nous l’avions déjà mentionné, même pendant la période où s’est déroulée l’affaire judiciaire qui nous intéresse (de 1994 avec le premier degré à Pietro Pacciani – premier coupable, relaxé en appel, ensuite mort d’un attaque cardiaque – jusqu’en 2000 avec la confirmation en Cassation de la condamnation aux “compagnons de collation” Mario Vanni et Giancarlo Lotti). Bien qu’il n’y ait pas de codification du principe du doute raisonnable, la jurisprudence de la Cassation le développait déjà progressivement.

Il faut tenir compte du fait que le nouveau Code de Procédure Pénale qui marque le passage d’un système de type inquisitoire à un système accusatoire (inspiré par les systèmes anglo-saxons), dans lequel le « beyond each reasonable doubt » est un principe pivot, entre en vigueur en 89.

Dans les années 90, la jurisprudence de légalité avait déjà fait sien le concept, toutefois, dans déroulement des procès pour cette affaire judiciaire n’a pas été considéré.

En effet, la série de jugements qui ont été rendus concernait principalement l’opposition entre le niveau de preuve requis pour émettre une mesure conservatoire et celui nécessaire pour statuer sur une condamnation dans une décision de fond : celle-ci, en effet, est «caractérisée par la nécessité de déceler des preuves incontestables (au-delà de toute doute raisonnable) de l’existence du fait» (Cass., Sez. Fer., 20 août 1991, Iermanò, in Cass. Pen., 1992, p. 342).

Il a également été établi que le raisonnement suivi par les Juges en question, qui reste dans le cadre de l’éventualité, est incompatible «avec le critère de la certitude, au-delà de tout doute raisonnable, qu’il doit présider à la constatation de la responsabilité dans le procès pénal» (Cass., Sez. V, 18 décembre 1996, n. 1203, « in dejure »). Il est évident que ces jugements, plutôt que de justifier une norme de preuve moindre pour les mesures de détention provisoire en prison, peu se sont occupées de remplir de signification concrète le principe de la condamnation au-delà de tout doute raisonnable, comme c’est le cas à partir de la décennie suivante (en premier lieu avec le jugement à SS.UU. Franzese de 2002 [1]), pour arriver ensuite à la codification de 2006 et à l’implémentation jurisprudentielle en la matière[2].

Le procureur général (qui normalement soutien l’accusation) de l’époque (1998) Daniele Propato, en phase conclusive, demanda l’absolution de Mario Vanni mais la mise ne accusation de Giancarlo Lotti pour calomnie. Cela nonobstant, après 10 jours de chambre de conseil (un délai assez long), la sentence qui attribuait les crimes du Monstre à Vanni et Lotti, en concours avec le fu Pacciani, fut passée en jugement.

Les nouvelles découvertes scientifiques en vue de la révision du processus.

En relation avec ce qui est amplement développé dans l’ouvrage de Paolo Cochi, il convient de faire une allusion aux conséquences que, en théorie, pourraient avoir les nouvelles expertises effectuées sur l’état des corps du dernier meurtre du Monstre, celui des Scopeti (le nom du lieu où a eu l’agression) contre Nadine Mauriot et Jean Michel Kraveichvili. Ces recherches ont conduit à rétrograder le meurtre au moins au jour précédent par rapport à celui établi dans le jugement. Et il n’est pas sans importance que les témoignages sur lesquels se base la condamnation sont ceux de Giancarlo Lotti et Fernando Pucci (un témoin qui omit de dénoncer les faits, non condamné parce que non participant et « oligophrénique » (malade mentale), qui est mort en 2018), qui parlent de la fin de la soirée du dimanche 8 septembre 1985 comme moment où les deux touristes ont été assassinés.

Il nous intéresse, à ce stade, de citer l’art. 630 du C.P.P., qui prévoit les hypothèses de révision dans le procès, via un recours extraordinaire, qui se caractérise par son aptitude à renverser le jugement : il a pour objet des jugements irrévocables, même si la peine a déjà été exécutée ou est éteinte, et elle est « considérée » sans limite de temps, à la différence des pourvois ordinaires pour lesquels, par contre, un délai est toujours fixé. Parmi les cas impératifs d’admissibilité, il est prévu, au point c), l’hypothèse où « après la condamnation, de nouvelles preuves sont survenues ou découvertes qui, seules ou combinées à celles déjà évaluées, démontrent que le condamné doit être acquitté en vertu de l’article 631« .

L’examen de la recevabilité de la demande de révision du procès, qui préludera à l’acquisition des nouvelles preuves en cas d’accueil, a été approfondi par l’arrêt/jugement n. 4837 du 28 octobre 1998 de la Cassation (confirmé par la section VI, arrêt 30 décembre 2014 n. 53849), qui a décidé que la requête ne doit être rejetée que s’il apparaît, après un examen sommaire et à première vue, qu’elle est manifestement infondée. Il sera ensuite dans le jugement de révision que la nouvelle épreuve sera pleinement évaluée dans le contradictoire des parties en opposition aux résultats de la sentence irrévocable de condamnation.

Une jurisprudence récente s’est attachée à répondre à la question de savoir si la nouvelle preuve peut également être constituée par une évaluation différente des preuves déjà établies, notamment en ce qui concerne les progrès scientifiques dans le domaine en question. La réponse a été oui. Le principe que l’on peut tirer des arrêts de légalité qui se sont penchés sur le sujet est le suivant : en matière de révision, aux effets de l’article 630 lett. c) du Cod. Proc. Pen. , une expertise peut constituer une preuve nouvelle si elle est fondée sur de nouvelles découvertes scientifiques propres à dépasser les critères adoptés antérieurement et donc susceptibles de donner des résultats certainement plus appropriés, même si elle affecte un sujet qui a déjà fait l’objet d’une enquête en connaissance ordinaire (Cour de Cassation, section VI, arrêt 8 aout 2013 n. 34531; section V, arrêt  22 janvier 2010 n. 2982).

Le large traitement des nouvelles expertises et de leurs résultats et ce bref historique juridique sont en mesure de faire formuler au lecteur ses propres conclusions.

(partie sur les aspects juridiques écrite par Paolo Cochi, traduite de l’italien en français)


[1]               Cass., sez. un. , 11 septembre 2002, Franzese, in Guida dir., 2002, n. 38, p. 62 : «l’insuffisance, la contradiction et l’incertitude probatoire, donc le doute plausible et raisonnable (…] ne peut pas ne pas comporter (…] le résultat absolutoire établi par l’article. 530, co. 2, c.p.p.p.». Dans l’arrêt, il est dit que, pour condamner, il faut «une conclusion caractérisée par un haut degré de crédibilité rationnelle».

[2]               En ce qui concerne la portée de la réforme de 2006, la doctrine juridique s’est divisée entre ceux qui considèrent le principe du doute raisonnable comme un critère supplémentaire qui alourdirait inutilement l’obligation de motivation du magistrat, et qui le considère comme révolutionnaire, étant donné qu’il limite le libre arbitre du juge au moment de la décision. Pour le lecteur intéressé à un approfondissement technique du sujet, se référer à : F.Caprioli, La vérification de la responsabilité pénale au-delà de tout doute raisonnable », Rév. fr. dir. e proc. pen. fasc.1, 2009, p. 51; M. Pisani, Réflexions sur le thème du « doute raisonnable », Rév. it. dir. e proc. pen. , fasc.4, 2007, p.. 1243; D. Chinnici, L' »au-delà de tout doute raisonnable » : nouveau critère du jugement de condamnation? , in Dir. pen. proc. , 2006, p, 1556; V. Garofoli, De ne pas tenir compte de la culpabilité à la règle de l’au-delà du doute raisonnable, Dir. Pen. Proc., 2010, 9 , p 1029 et ss. ; N. Salimbeni, Raisonnable doute et motivation sur la preuve circonstancielle, Dir. Pen. Proc, 2011, 2, 203. ; P. Ferrua, La culpabilité au-delà de tout doute raisonnable, dans Le nouveau régime des pourvois entre Cour constitutionnelle et Sections unies 11/07, par L. Filippi, Cedam, Padoue, 2007, p. 137 ss. ; F. M. Iacoviello, La norme de la preuve au-delà de tout doute raisonnable et son contrôle en Cassation, dans la Cassation Pénale, 2006, p. 3857; G. Canzio, L' »au-delà du doute raisonnable » comme règle de preuve et de jugement dans le procès pénal, dans le Rév. fr. dir. proc. pen. 2004, pp. 304-305.


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