Chroniques italiennes sur santé et juridique n.1

Nous recevons et publions des chroniques sur la situation sanitaire juridique en Italie. L’année passée nous avons déjà fait un premier article sur le sujet, publié ici:

https://journals.openedition.org/revdh/10582

ainsi que la suite ici:

Nous continuons cette année nos chroniques ici dans notre blog.

Première partie: Santé et libertés en Italie : retours sur plusieurs décisions de justice

par Monica Soldano (journaliste, responsable du Soutien Légale) et Alessandra Tucci (avocate).

Ces derniers mois, plusieurs juridictions ont été saisies – constitutionnelle comme administratives, nationales comme régionales – sur différents aspects en lien avec la crise sanitaire que nous traversons. L’occasion de revenir sur le difficile équilibre entre les exigences de protection de la santé et les libertés individuelles .

Cet article fait suite à un précèdent qui faisait le point sur les jugements et décisions de tribunaux régionaux italiens relatives à l’obligation vaccinale durant l’année 2020

(https://journals.openedition.org/revdh/10582)

Obligation de port du masque à l’école : oui mais pas au détriment de la santé de l’enfant

  • Le Conseil d’État a rendu en novembre dernier un arrêt sur l’obligation de port du masque par les enfants âgés de 6 à 12 ans pendant les heures d’école[1]. Il a jugé que cette disposition permettait la protection du droit individuel à la santé tout en respectant le droit à la santé d’autrui dès lors que sur la base d’un certificat médical l’enfant peut être exempté du port du masque à l’école.

Les parents et les avocats sardes, qui sont à l’origine du recours, ont accueilli cette décision comme une première victoire pour le cas concret qu’ils défendaient. Ils se réservaient toutefois la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir épuisé tous les degrés de jugement en Italie, pour obtenir une décision « erga omnes » et voir l’Italie condamnée pour avoir violé le droit à l’intégrité psycho-physique des enfants.

  • Le 26 janvier 2021 la troisième section du Conseil d’État, présidée par Franco Frattini, a utilisé la forme du décret[2], à titre exceptionnel, afin de statuer immédiatement et concrètement sur la demande de deux parents d’une enfant dont les certificats médicaux ont démontré la difficulté respiratoire résultant du port continu du masque, à l’école.

La décision du Conseil d’État a accueilli le recours en soulignant l’absence de fourniture d’avis attestant l’absence de nocivité de l’utilisation prolongée du masque. A ce premier constat, s’ajoute l’impossibilité de démontrer que l’école était équipée d’un simple appareil de contrôle, tel que le saturomètre, peu coûteux et facile à utiliser, qui aurait pu permettre un suivi en temps utile de l’état de l’enfant. En conséquence, le Conseil d’État juge que cet enfant ne peut ni se voir imposer le port du masque pendant les heures scolaires du fait de ses problèmes de santé, ni être privé de son droit constitutionnel à l’éducation. La mise en œuvre de cette décision incombe à l’établissement scolaire concerné.

LES MÉDECINS DE FAMILLE NE PEUVENT ÊTRE DÉTACHÉS POUR LES VISITES DOMICILIAIRES DES MALADES COVID (TAR LATIUM)

En ce qui concerne l’organisation sanitaire sur le territoire, le TAR del Lazio, saisi par le Syndicat des Médecins SIM, a annulé l’ordonnance de la Région Latium attribuant aux médecins de famille les visites domiciliaires aux malades covids, en violation des indications gouvernementales (*) qui ont conçu les USCA (unités pour le service d’urgence) dotées de dispositifs de sécurité tels que des députées aux visites domiciliaires, le cas échéant, aux malades covids (Tar Lazio N 11991/2020) (**)

http://100passijournal.info/tar-lazio-i-medici-di-famiglia/

Plan d’urgence sanitaire : rappel des exigences de transparence et de communication

La Constitution italienne[3] consacre le droit d’accès des parlementaires aux documents, ce droit vaut notamment dans le cadre de l’évaluation de la gestion de la crise sanitaire nationale. Le 4 août dernier, deux députés, Galeazzo Bignami et Marcello Gemmato (groupe « Fratelli d’Italia ») avaient demandé au Ministère de la Santé la copie du « Plan national d’urgence sanitaire » dont avait parlé le Directeur Général de la programmation sanitaire, Andrea Urbani, dans une interview au Corriere della sera[4].

N’ayant pas reçu de réponse, les députés ont saisi le TAR du Latium sur le fondement de l’article 117 du Code de procédure administrative qui permet des recours contre le silence de l’administration. Ils soutiennent qu’elle aurait dû publier le Plan National d’Urgence sur la base aussi du simple accès civique généralisé, qui n’exige pas que soit spécifiée l’exposé des motifs sur des actes publics, sur lequel il doit y avoir toujours la publication et la transparence (N. 00879/2021 REG. Prov. Coll. n. 07682/2020 reg. ric.)

Le juge a accueilli le recours et ordonné au Ministère de la santé de remettre aux requérants, dans un délai de trente jours, le document demandé.

DÉCISION DU JUGE DE PAIX DE FROSINONE ET RÉFLEXIONS JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

Par un jugement rendu le 15 juillet 2020, le Juge de Paix de Frosinone, Emilio Manganello, a annulé l’amende dont un citoyen italien avait fait l’objet pour un déplacement en violation de l’état d’urgence sanitaire au sens d’un DPCM qui n’avait même pas été explicité.

Cette décision est intéressante à un double titre : d’abord parce que le juge a souligné l’illégalité de l’état d’urgence des DPCM (Décrets du Président du Conseil) pris en violation des article 95 et 78 de la constitution, lesquels ne prévoient pas la possibilité pour le conseil des Ministres de déclarer l’état d’urgence sanitaire ; ensuite, et surtout, parce que le juge a conclu à la violation par les DPCM de plusieurs droits fondamentaux constitutionnels.

La Constitution italienne

Principes constitutionnels généraux

Les droits et les libertés constitutionnels appartiennent à tout citoyen et sont inviolables.

Ces droits peuvent toutefois être limités et/ou suspendus par une interdiction et/ou obligation expresse (donc jamais implicite), claire (non susceptible d’interprétation différente), spécifique (non général et généralisé), strictement limitée dans le temps et dans l’espace, et motivée par la seule protection d’un autre droit constitutionnel.

Les libertés personnelles

L’article 13 de la Constitution dispose que « La liberté personnelle est inviolable. Aucune forme de détention, d’inspection ou de fouille corporelle, ni aucune autre restriction de liberté personnelle n’est admise, sauf par un acte motivé de l’autorité judiciaire et dans les seuls cas et voies prévus par la loi ». La liberté ainsi garantie est à la fois physique et morale et protège donc tant de la contrainte physique, que de toute forme de coercition de la volonté, de la pensée et de la psyché de l’individu.

L’assignation à domicile est un exemple clair de restriction de la liberté physique, Il en va de même du confinement (appelé « Lock-down ») imposé dans le cadre de la crise sanitaire (nota 1 –  DPCM 9 mars 2020

Pourtant, dans les différents DPCM (Ordonnances du Président du Conseil Conte) qui se sont succédés de février 2020 jusqu’à aujourd’hui, on ne lit aucune interdiction expresse de sortir de son domicile et/ou de se promener entre 22h et 5h. Dès lors, les sanctions prises au titre d’une prétendue violation de l’obligation de couvre-feu/confinement paraissent contraires à la Constitution.

A une lecture des actes du Président du Conseil des Ministres (Président du Conseil Conte) et du Gouvernement visant à gérer l’urgence sanitaire, on relève la présence de simples recommandations – dépourvues de force obligatoire – et des expressions, comme cela a déjà été dit, impropres telles que l’octroi/la permission de droits et libertés réduits qui engendrent la conviction erronée que tout ce qui n’est pas permis est interdit.

La liberté de circulation

En vertu de l’article 16 de la Constitution « Tout citoyen peut circuler et séjourner librement dans n’importe quelle partie du territoire national, sous réserve des limitations que la loi établit de manière générale pour des raisons de santé ou de sécurité »

https://www.senato.it/1025?sezione=120&articolo_numero_articolo=16)

A la différence de la liberté personnelle, la liberté de circulation peut être limitée – toujours de manière expresse et claire et circonstanciée dans le temps et dans l’espace – par un acte ayant force de loi pour des raisons de santé et de sécurité.

La différence de régime de ces deux libertés (personnelle et de circulation) s’explique par le fait qu’une restriction de la liberté personnelle (du fait, par exemple, avec confinement) affecte la personne physique et la personnalité de l’individu de manière très large « en bloquant » la personne, tandis qu’une disposition limitant la liberté de circulation affecte le territoire de l’État et non la personne en organisant techniquement la « fermeture » d’une zone.

En conséquence, la fermeture d’une zone (interdiction d’entrée et de sortie de celle-ci), assortie des exceptions appropriées, peut, pour des raisons de santé publique, être ordonnée par un acte normatif ayant force de loi, mais une telle interdiction ne peut porter atteinte à la liberté personnelle des citoyens à l’intérieur de la zone isolée dans laquelle ils doivent conserver leur droit de se déplacer, d’opérer et d’agir.

Interdiction des limitations a priori et/ou symboliques des droits inviolables

En vertu du principe de l’équilibre équitable entre les droits et libertés constitutionnels ayant tous la même valeur et la même importance, la limitation d’un droit – dans les formes et selon les modalités prévues par la Constitution, telles que rappelées -, doit être strictement nécessaire au droit constitutionnel que l’on prétend vouloir protéger et circonscrite dans le temps. Ainsi une limitation a priori et sans terme des droits et libertés inviolables ne répond pas aux exigences constitutionnelles  (Art 13 de la Constitution italienne :

 https://www.senato.it/1025?sezione=120&articolo_numero_articolo=13  ).

Pour compléter et approfondir les questions constitutionnelles vous pourrez trouver ici:

https://journals.openedition.org/revdh/10413

ainsi que l’intéressante débat entre académies francise et italienne de ce premier épisode de notre nouvelle émission:

https://www.facebook.com/events/264941658551574/


[1] N.08672/2020 REG. RIC publié le 12/11/2020.

[2] N00304/2021

[3] Art. N. 67 de la Constitution italienne.

[4] 21.04.2020.

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